
MANAL RMILI
Alors qu’une récente affaire de corruption éclabousse une université marocaine, des voix s’élèvent, inquiètes, troublées. Au-delà des faits, c’est une question bien plus vaste qui s’impose, peut-on encore faire confiance aux institutions qui forment les élites de demain? Loin des jugements hâtifs, cet article propose une réflexion sur la valeur du savoir, la fragilité de la confiance, et la nécessité urgente de redonner du sens au diplôme.
Il y a des silences plus lourds que les cris, dans les couloirs d’une université marocaine, à Agadir, ces derniers jours, le silence s’est épaissi. Il ne s’agit pas seulement d’une affaire judiciaire. Ce qui s’est fissuré, c’est un pacte symbolique, celui qui relie les étudiants à leurs enseignants, les institutions à la société, l’éducation au mérite. La découverte d’un système présumé de vente de diplômes de master et de doctorat par un professeur de droit a frappé l’opinion publique. Non pas par surprise car le soupçon rôdait déjà dans certains esprits mais par la violence de ce qu’il révèle. Derrière les chiffres, derrière les comptes bancaires bien garnis, derrière les accusations formelles, se cache une faille bien plus vaste, la perte de confiance.
Car que signifie un diplôme s’il peut s’acheter ? Que signifie l’effort s’il peut être contourné ? Et surtout, que devient la valeur du savoir, si celui-ci peut être distribué comme une faveur, contre un prix, contre des conditions humiliantes parfois?
L’université est censée être un lieu d’émancipation, un espace où l’on apprend à penser, à douter, à construire une pensée critique. Où l’on apprend surtout à respecter des règles communes, pour que le savoir reste une richesse partagée, jamais un privilège réservé. Les diplômes qu’elle délivre ne sont pas que des parchemins, ils sont les preuves tangibles d’une compétence, d’un engagement, d’une transformation intellectuelle et humaine. Alors lorsque ce processus est trahi non pas par erreur ou par faiblesse, mais par préméditation une question se glisse dans chaque esprit, à qui pouvons-nous encore faire confiance ?
Ce qui se joue ici dépasse les individus, ce n’est pas une chasse aux coupables qu’il faut ouvrir, mais un espace de réflexion. Car les étudiants d’aujourd’hui sont les avocats, magistrats, professeurs, décideurs de demain. Ceux-là mêmes qui tiendront la loi entre leurs mains. Et si la loi elle-même est enseignée dans des conditions faussées, biaisées, viciées, que deviendra la justice ? Quelle légitimité porteront ces diplômes, si l’éthique qui devrait les fonder se perd dans les interstices de la corruption ?
L’affaire qui secoue Agadir n’est pas une fin en soi. Elle est un signal d’alerte, une fissure dans les fondations d’un système qui a trop longtemps cru que le prestige suffisait à préserver l’honneur. Il faut désormais repenser, reconstruire, restaurer.
Mais cela ne signifie pas que tout est perdu. Il y a encore des professeurs qui enseignent avec passion, avec rigueur, avec dévouement. Il y a des étudiants qui travaillent, qui doutent, qui cherchent, qui s’accrochent à leurs livres comme à une promesse. Il y a des institutions qui fonctionnent, des comités éthiques, des procédures internes, des voix qui refusent le silence. Et ce sont ces voix qu’il faut amplifier. Ce sont ces efforts qu’il faut protéger.
Car chaque fois qu’un système dérape, ce ne sont pas seulement les fautes qu’il faut exposer, mais les résistances qu’il faut honorer. La confiance, elle, ne se décrète pas, elle se construit, doucement, sur des gestes répétés, sur des règles claires, sur une éthique partagée. Il ne s’agit pas seulement de sanctionner les dérives. Il faut surtout poser les bases d’une culture académique renouvelée, plus transparente, plus exigeante, plus humaine. Le diplôme doit redevenir ce qu’il a toujours été dans l’imaginaire collectif, le fruit d’un effort, d’une légitimité méritée, et non d’un arrangement opaque.
Aujourd’hui, ce qui est en jeu, ce n’est pas un scandale de plus. C’est une réconciliation entre les universités et la société. Entre les étudiants et leurs encadrants, entre le savoir et la confiance. Et cette réconciliation ne viendra pas d’un décret. Elle viendra d’un réveil, celui des consciences.