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L’affaire Khadija ou le prix d’un visage dans la balance judiciaire.

  • Par REGHAI Yasmina

    Un verdict qui fait désordre:
    La justice marocaine vient de livrer un de ces jugements qui laissent perplexe. Khadija, une femme de 32 ans vivant à Sidi Kacem, s’est vue infliger une sentence bien particulière: 88 points de suture au visage suite à une agression. Son bourreau, lui, a écopé de… deux mois de prison. Deux mois. Soit environ le temps qu’il faut pour guérir d’une grippe un peu tenace.

  • Les faits bruts:
    Tout commence par une banale soirée dans le quartier populaire de Dar El Kadari. Khadija, mère célibataire, refuse les avances d’un homme. Réponse de ce dernier : une bouteille de verre enfoncée dans le visage. Le résultat est sans appel : fractures multiples, défiguration partielle, et ce qui ressemble fort à une invalidité permanente.

    Le théâtre judiciaire:
    Devant le tribunal de Mechra Belksiri, le spectacle est surréaliste. La défense tente un coup magistral : « Elle s’est blessée toute seule ». Un scénario qui aurait fait rougir les pires séries B, mais qui trouve pourtant des oreilles attentives. Jusqu’à ce qu’un enregistrement audio vienne tout bouleverser – avant d’être finalement écarté.

    Yasmina REGHAI
    Yasmina REGHAI
    Une justice à deux vitesses:
    On ne peut s’empêcher de comparer:
    – Vol d’un téléphone portable : 1 an de prison
    – Destruction d’un visage de femme : 2 mois

    La mathématique judiciaire est décidément une science mystérieuse. Faut-il en conclure qu’au Maroc, un smartphone vaut six fois plus qu’un visage humain ?

    Le message implicite:
    Ce verdict envoie un signal troublant aux femmes marocaines, particulièrement celles des milieux défavorisés. Il semble dire : « Votre intégrité physique a un prix, et ce prix est dérisoire ». Une bien triste conception de la valeur humaine.

    Heureusement, l’affaire n’est peut-être pas terminée. La possibilité d’appel existe, offrant à la justice une chance de se ressaisir. Car au-delà du cas Khadija, c’est toute la crédibilité de notre système judiciaire qui est en jeu.

    Pour une justice à hauteur d’homme (et de femme). L’affaire Khadija pose une question simple : quelle valeur accordons-nous réellement à la dignité humaine ? La réponse actuelle du système judiciaire est pour le moins… économique. Il est temps que nos tribunaux cessent de faire des promotions sur les peines pour violences graves. Après tout, la justice n’est pas un souk où l’on marchande la valeur d’un visage humain.
    Reste à espérer que les juges d’appel sauront rectifier le tir, et rendre à Khadija ne serait-ce qu’une infime partie de ce qui lui a été volé : le sentiment que sa souffrance compte.

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