
Par Yassmina Reghai
Essaouira, perle venteuse de l’Atlantique, refuge d’artistes et désormais capitale nationale du téléphone à 3 % de batterie à 18h. Car en cette édition 2025 du Festival Gnaoua et Musiques du Monde, il fallait choisir : vibrer au son du guembri ou recharger son portable entre deux selfies sur fond de mur bleu.
Et pendant ce temps-là, à Rabat, Mawazine fait retentir ses basses jusqu’au Parlement. Deux festivals, deux philosophies : d’un côté, la transe et les derdebas ; de l’autre, des shows millimétrés et des passes VIP qui coûtent le prix d’un mois de loyer. Mais revenons à Essaouira.
1. La Transe… et les Tripodes:
Les maâlems, toujours fidèles au poste, ont offert des moments suspendus, presque sacrés. Mais en 2025, même la transe se vit à travers un écran. La scène mythique de Bab Marrakech s’est transformée en plateau de tournage à ciel ouvert : filtres sépia, hashtags #GnawaVibes et trépieds plantés au milieu de la foule, prêts à tout sauf à danser.
La spiritualité reste, certes. Mais compressée en 15 secondes sur TikTok, elle perd un peu de sa magie. On ne dit pas que c’était mieux avant. Mais au moins, avant, personne ne vous demandait de vous pousser “juste pour le plan large”.
• Les puristes, qui froncent les sourcils dès qu’ils entendent un “Waouh trop stylé” pendant une derdeba.
• Les curieux, qui pensent que le guembri est un plat végétarien.
• Et les influenceurs, dont l’unique mission semble être de capturer l’instant… pour mieux le monétiser.
À côté, Mawazine aligne les stars mondiales, les files d’attente interminables et les paillettes jet-set. Là-bas, on vient voir des stars internationales . Ici, on vient sentir quelque chose. Même si parfois, ce “quelque chose”, c’est juste l’odeur de sardines grillées entre deux concerts.
3. Essaouira, entre charme et chaos organisé: L’atmosphère bohème d’Essaouira résiste, mais elle tousse un peu. Pendant le festival, la médina se transforme en labyrinthe sonore, saturé de touristes perdus, de stands d’artisanat made in China et de livreurs de tajines à moto (ce qui, soit dit en passant, devrait être un sport olympique).
Les ruelles s’engorgent, les prix flambent, et les riads affichent complet… sauf pour ceux qui ont réservé un an à l’avance ou ont un cousin en ville .
4. Gnaoua vs Mawazine : le choc des mondes: Au fond, ce n’est pas qu’un débat culturel. C’est aussi une affaire de portefeuille.
• À Gnaoua, la musique est gratuite, ou presque. On mange une brochette à 15 dirhams en écoutant un maâlem, et on rentre avec un bracelet “authentique” payé quatre fois son prix.
• À Mawazine, on dîne au catering VIP, entre deux selfies avec des mannequins de Dubaï. Gnaoua, c’est la chaleur humaine. Mawazine, c’est la clim. À chacun son festival.
Une question d’âme… et de Wi-Fi?
Malgré les parasols sponsorisés et les drones qui bourdonnent au-dessus des ruelles, Gnaoua résiste. Tant bien que mal. Entre authenticité et attractivité, spiritualité et viralité, le festival cherche encore l’équilibre.
Peut-être faudrait-il, pour l’édition 2026, instaurer une zone sans stories. Ou mieux : une zone sans réseau. Là, au moins, on serait sûrs que ceux qui dansent le font pour de vrai. Et pas pour l’algorithme.