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Quand même la montagne ne rassure plus : chronique d’un pays qui perd ses repères

REGHAI Yasmina

Il fut un temps où le mot beldi rassurait.Un temps où les vallées sentaient le thym, pas la peur.
Où les villageois dormaient la porte entrouverte, le cœur tranquille.
Aujourd’hui, même dans les coins les plus reculés de Midelt, un jeune homme peut être retrouvé mort, et tout le monde se tait. Ou pire : tout le monde suppose.

Suicide ? Meurtre ? Coup monté ? Histoire d’honneur ? Pression sociale ? Un peu de tout ? Personne ne sait. Et au fond, personne n’ose savoir.

La rumeur fait la loi, la vérité prend le bus. À peine la nouvelle de ce jeune retrouvé sans vie dans la vallée d’Ahli est-elle tombée que le tribunal du café s’est réuni en session spéciale :
— “Moi je te dis que c’est un règlement de compte.”
— “C’est sûrement la honte, les jeunes d’aujourd’hui sont fragiles.”
— “Il traînait avec une mauvaise clique.”

Chacun y va de sa version, plus créative que la précédente. L’enquête, elle, avance à pas d’escargot sous un soleil écrasant. Quant à la confiance dans les institutions, elle est partie depuis longtemps, probablement sans laisser d’adresse.

Yasmina REGHAI
Yasmina REGHAI
L’insécurité, ce n’est plus un problème de grandes villes.
On a longtemps cru que les violences, les disparitions inquiétantes et les affaires tordues appartenaient aux grandes villes. Mais non. Le danger s’est décentralisé. L’insécurité est maintenant rurale, discrète, intime.
Elle s’infiltre entre deux champs, elle rôde autour des internats, elle se glisse dans les silences pesants du voisinage. Et surtout, elle prospère dans l’absence de réponses.

La morale vacille, et les moeurs se délitent.
On ne parle plus. On poste.
On ne s’indigne plus. On commente.
On ne se soutient plus. On juge.

Là où l’on devrait chercher la vérité, on alimente la suspicion. Là où la communauté devrait faire bloc, elle se fracture. Pire : elle se normalise. Une mort suspecte ? “Allah yrahmou.”
Et chacun retourne à son feed, ses vidéos TikTok et ses siestes d’été.

Et maintenant ?
Il serait peut-être temps de se poser les vraies questions :
• Pourquoi un jeune, dans une zone censée être protégée du chaos des villes, meurt-il sans que personne ne se sente responsable ?
• Pourquoi le silence devient-il une habitude nationale ?
• Pourquoi notre tissu social se désagrège pendant que l’on saupoudre des campagnes de “vivre ensemble” ?

On croyait que les vallées nous protégeaient. Elles nous regardent maintenant en silence, pendant qu’on enterre un garçon et qu’on enterre, au passage, un peu de notre dignité collective.

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