
Par Reghai Yasmina
On les croise sans les voir, on les entend sans vraiment les écouter. Elles sont là, dans nos cuisines, nos salons, nos souvenirs d’enfance: les travailleuses domestiques, discrètes silhouettes qui entretiennent nos intérieurs pendant que nous nous racontons la méritocratie sur LinkedIn.
En 2021, le Maroc a franchi un cap: reconnaître (enfin !) les droits de ces femmes à travers la loi 19-12. Un texte salué, commenté, applaudi… puis rangé quelque part entre la Constitution et les résolutions sans lendemain. Car entre l’annonce d’une avancée et son inscription dans la réalité, il y a parfois un gouffre. Et ici, il est intersidéral.
Une loi bien ficelée… sur le papier:
Contrat de travail obligatoire, salaire minimum, jours de repos, durée de travail réglementée… La loi 19-12 a de quoi impressionner. On la lit comme on lirait un catalogue Ikea : tout y est, sauf le mode d’emploi pour l’assembler dans la vraie vie.
Car dans les faits, beaucoup continuent à considérer ce travail comme une faveur accordée, un “service”, une aide informelle entre “membres de la famille”, comme si la tendresse pouvait remplacer un bulletin de paie.
Les grands écarts de l’application:
En théorie, les travailleuses à domicile ont droit à un contrat. En pratique, elles ont droit à la confiance (jusqu’au prochain désaccord).
En théorie, elles touchent le SMIG. En pratique, elles touchent ce que l’on veut bien leur donner – et encore, avec reconnaissance.
En théorie, elles ont droit à des congés. En pratique, les seules vacances qu’ils prennent, c’est quand elles tombent malades – et même là, c’est mal vu.
La vérité ? Sans inspections, sans campagnes de sensibilisation, sans volonté politique, la loi reste suspendue dans le vide. Et dans le silence des maisons bien rangées, aucune voix ne s’élève pour rappeler que le respect des droits ne dépend pas du bon vouloir du maître de maison.
Pire : une partie de la société continue à voir dans le travail domestique un non-métier, une activité subalterne, presque naturelle, comme si l’origine sociale de ces femmes les condamnait à l’informel à perpétuité.
Changer la loi, oui. Mais changer les regards, surtout.
La loi 19-12 est un début. Mais un début ne suffit pas quand les mentalités, elles, n’ont pas bougé d’un pouce.
Il faudra :
• des inspections régulières, pas uniquement en cas de scandale,
• des employeurs informés ET responsabilisés,
• une société qui accepte enfin de regarder ces femmes en face – non pas comme des “bonnes”, mais comme des salariées, avec des droits.
Avant de se féliciter d’avoir une loi, demandons-nous ce que nous en faisons. Et surtout, si dans nos gestes quotidiens, dans nos silences complices ou dans nos “on est comme une famille”, nous ne perpétuons pas une forme douce et moderne d’exploitation.
Parce que parfois, le plus grand vide n’est pas juridique. Il est moral.
Signé : Une chroniqueuse qui n’a pas de domestique, mais qui sait faire la vaisselle avec dignité.