
Par Reghai Yasmina
Il suffit de quelques kilomètres à peine pour passer d’un monde à un autre. Casablanca, mégapole nerveuse et tentaculaire, nous tend ses deux visages sans sourciller. L’un farde ses paupières de marbre et de verre, l’autre regarde le bitume avec des yeux fatigués. À Anfa, le silence des haies taillées cache les fêtes discrètes, les piscines à débordement et les écoles internationales aux noms qui chantent en anglais. À Sidi Moumen, le vacarme des motos, les enfants aux pieds nus et les lignes électriques improvisées racontent une autre histoire. Celle qu’on regarde sans vraiment la voir.
Le Maroc est-il un pays schizophrène ? Ou simplement un miroir de nos contradictions assumées ? On y organise des galas caritatifs dans des palaces cinq étoiles, pendant qu’à quelques encablures, des familles se partagent un deux-pièces sans fenêtres. On y dénonce la pauvreté sur les plateaux télé, entre deux coupes de champagne. On bâtit des malls aux allures de Dubaï, pendant que des jeunes rêvent de s’exiler non pas pour réussir, mais juste pour respirer.
Ce n’est pas un procès, ni même un réquisitoire. C’est un constat. Doux-amer. Un peu comme ce thé à la menthe trop sucré qu’on boit en famille, pendant que la télé passe des pubs pour des SUV que personne ne peut s’offrir.
Le vrai luxe aujourd’hui, ce n’est pas une villa avec vue sur mer. C’est un logement décent, une école de qualité, un emploi stable. Le reste ? Du vernis.
Alors, en attendant qu’on accorde nos politiques sociales à nos ambitions économiques, Casablanca continuera à jouer cette partition étrange : celle d’une ville où le rêve et la survie partagent le même trottoir, sans jamais se croiser du regard.
Yasmina Reghai – Écrire, pour ne pas s’habituer à l’absurde.