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Dialogue Social: la chorégraphie de l’immobile

Par REGHAI YASMINA

Ah, le «Dialogue Social»… Deux mots qui, prononcés d’une voix grave dans un micro officiel, donnent l’impression qu’on va enfin guérir tous les maux du pays. On l’imagine façon agora grecque revisitée: syndicats, patrons, ministres, tous assis autour d’une grande table, en train de dessiner l’avenir à coups de débats passionnés. La vérité ? C’est un ballet millimétré, réglé comme une horloge suisse, où les pas sont connus d’avance et où la seule chose qui bouge… c’est la bouche.

Acte I – La convocation sacrée.
Ça commence par un carton d’invitation aux allures de convocation au sommet de l’État. On rassemble les « partenaires sociaux » (joli euphémisme pour « adversaires qui s’évitent »). Salle somptueuse, table démesurée, cafés alignés au cordeau. À l’ordre du jour : sauver l’éducation, révolutionner la santé, réinventer le fameux « modèle » national (celui qui reste à l’état de brouillon éternel). Tout le monde hoche la tête, sort son bloc-notes. Le rideau s’ouvre : la danse commence.

Acte II – Le tourniquet lexical.
Place à la valse des concepts : « paradigme », « leviers d’action », « coconstruction », « gagnant-gagnant »… C’est la « sphérisation collégiale » : tourner autour du pot avec grâce, sans jamais y plonger la cuillère. Les phrases sont si polies, si arrondies, qu’elles finissent par ne plus rien trancher du tout. Le talent suprême ? Dire beaucoup… pour ne rien engager.

Acte III – L’apparition du Saint-Graal.
Après des mois de palabres, on dévoile la star : Le Rapport. Pavé monumental de 300 pages, 247 recommandations, 89 axes stratégiques et 12 « priorités prioritaires ». C’est présenté comme une découverte archéologique majeure. On s’extasie sur son exhaustivité et surtout sur son « consensus » – le genre de consensus qui a la consistance d’un chamallow. L’important, c’est qu’il ait été signé par tous. Et basta.

Yasmina Reghai
Finale – Le grand retour au point de départ.
On conclut, on sourit devant les caméras, on annonce fièrement une « feuille de route ambitieuse ». Puis le rapport rejoint la grande bibliothèque des consultations nationales, coincé entre celui sur la réforme de l’éducation (2018) et celui sur la régionalisation avancée (2011). Deux ou trois mesures inoffensives verront peut-être le jour. Le reste ? Mis au congélateur, en attente d’une hypothétique « prochaine phase ».

Rideau. Applaudissements polis.
Et dans cinq ans ? On ressortira les mêmes costumes, on recyclera le jargon avec un mot à la mode – « résilience opérationnelle » ou « agilité transformative », au choix – et on recommencera. Parce que, dans ce théâtre-là, le but n’est pas de changer la danse. Juste de continuer le spectacle.

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