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L’entrée en vigueur des peines alternatives au Maroc: une révolution judiciaire… ou un pari risqué ?

Par REGHAI Yasmina

Le 22 août 2025, le Maroc a tourné une page inédite de son histoire judiciaire avec l’entrée en vigueur de la loi n°43-22 sur les peines alternatives. Présentée comme une réforme «humanisante», elle promet de désengorger nos prisons, de responsabiliser les condamnés et de donner enfin un visage plus moderne à la justice. Trois jours seulement après son activation, les premiers jugements sont tombés : un parfum de nouveauté flotte sur les tribunaux… mais aussi une série de questions.

1. Le cadre légal et les premiers jugements-test: La loi propose cinq types de sanctions alternatives pour les délits punis de moins de cinq ans de prison :
• Travail d’intérêt général (TIG)
• Bracelet électronique
• Restriction de certains droits
• Mesures de contrôle, suivi ou traitement
• Amende journalière
Dès le 22 août, trois tribunaux ont donné le ton:
• Casablanca (Aïn Sbaâ) : 8 mois de prison pour dégradation d’un bien public remplacés par… deux mois de TIG.
• Agadir : Dans une affaire de commerce illégal d’alcool, 2 mois de prison se transforment en une amende journalière de 300 DH, soit 18 000 DH au total. Justice punitive ou justice pour les riches ?
• Ouazzane : Pour coups et blessures à l’arme, un condamné doit pointer deux fois par semaine en prison et éviter tout contact avec sa victime.

2. Le mode d’emploi officiel: Pour encadrer ce virage, la Présidence du Ministère public a publié un guide de 257 pages, digne d’un manuel de survie pour magistrats. On y trouve :
• Les délits éligibles (exit terrorisme, corruption et gros poissons de la criminalité)
• Les conditions : pas de récidive, profil du condamné scruté à la loupe, et parfois accord de la victime
• Le suivi : du prononcé jusqu’au contrôle par le juge de l’application des peines. En clair : une belle théorie. Reste à voir la pratique.

3. Objectifs affichés (et espoirs discrets): La réforme est censée répondre à plusieurs maux chroniques :
• Des prisons surpeuplées (plus de 105 000 détenus pour une capacité réduite)
• Un budget carcéral qui explose
• Une réinsertion sociale quasi inexistante
• Et, nouveauté, un minimum de considération pour la victime. Un discours séduisant, mais qui pourrait vite se heurter à la dure réalité des chiffres et des moyens.

Yasmina Reghai
4. Les défis du terrain: Les premiers obstacles sont déjà visibles :
• Manque de ressources humaines : trop peu de juges spécialisés, pas assez de personnel formé
• Coordination molle : administrations en vacances d’été, associations et secteurs partenaires encore absents
• Habitudes judiciaires : une culture où prison = sanction. Et changer les mentalités, ça prend souvent plus de temps qu’un décret.

5. Au-delà du droit, une vision de société: Derrière cette loi, il y a un pari : celui de transformer notre justice punitive en une justice réparatrice, alignée sur les standards internationaux. Les discours royaux l’avaient promis, la réforme commence à s’incarner.

En avril 2025 déjà, le CSPJ avait publié un guide citant des exemples concrets : désintoxication plutôt que prison pour un consommateur de drogue, TIG pour outrage à fonctionnaire… Autant de pistes pour montrer que la prison ne doit plus être la seule réponse.

Le Maroc vient d’ouvrir une brèche historique : sortir de la logique du « tout carcéral » pour imaginer une justice plus intelligente. Mais soyons lucides : une loi, aussi ambitieuse soit-elle, ne change pas les réalités du jour au lendemain. Les premiers jugements donnent de l’espoir, mais la réussite de cette révolution dépendra moins des textes que des acteurs de terrain et des moyens mobilisés.
Entre promesse et pari, la balle est dans le camp de la justice marocaine.

Par votre chroniqueuse qui pense que :  ‘ parce qu’entre les promesses et la réalité, il reste souvent un scénario à écrire.´

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