
Par Reghai Yasmina
C’est une période de l’année bien particulière. Fin août, début septembre. L’air devient un peu plus frais, les jours raccourcissent, et dans les foyers marocains, c’est le même rituel qui se répète, teinté d’un mélange d’excitation… et d’une légère sueur froide. Non, je ne parle pas de la fin des vacances, mais de son corollaire obligatoire: la chasse aux fournitures scolaires.
Et cette année, plus que jamais, ça ressemble moins à une simple course qu’à un marathon du portefeuille. Un ultra-trail où les parents sont les coureurs, et les listes scolaires, les checkpoints impossibles à valider sans se vider les poches.
Je vous vois hocher la tête. Vous avez tous en tête cette fameuse liste. Ce document qui, de prime abord, a l’air anodin. Une feuille A4, quelques colonnes. « Cahier 96 pages», «Stylo bille bleu», «Règle 20 cm». Rien de bien méchant, pensez-vous. Sauf qu’ensuite, vous arrivez à la librairie et c’est le choc.
Le choc thermique… de la caisse enregistreuse.
Le cahier 96 pages ? Il faut qu’il soit «grand format», «à couverture rigide», «avec spirale» et «de telle marque». Le stylo bille bleu ? C’est un pack de 12, «pointe fine», « rechargeable », d’une marque qui coûte le prix d’un petit déjeuner au café. Sans parler de la règle 20 cm qui doit être «en métal incassable» et de l’équerre qui doit être « avec rapporteur intégré ». Et là, on ne parle que des trois premières lignes !
Le vrai sport national en ce moment, ce n’est pas le foot, c’est le décryptage des listes scolaires. Un art subtil qui consiste à comprendre pourquoi il faut absolument 5 types de cahiers différents pour un élève de CE2. Pourquoi la colle doit être «sans solvant» et en stick, mais pas celle-là, l’autre, là, avec la marque suisse. Et pourquoi, surtout, il faut 18 lots différents ! Dix-huit! On ne prépare pas un enfant pour une journée d’école, on l’équipe pour une expédition en terre inconnue de 9 mois.
« C’est pour la qualité », nous dit-on. «C’est pour uniformiser», argumente-t-on. Mais, entre nous, est-ce que la qualité d’une éducation se mesure à la marque de la gomme ou au nombre de feuilles de papier Canson ? Un enfant qui a un cahier à 3 dirhams au lieu de 7 comprendra-t-il moins bien la leçon de grammaire?
Les parents, eux, sont à bout. Ils errent dans les rayons des librairies, la liste à la main, une calculatrice dans l’autre, en train de faire des comptes d’apothicaire. «Bon, si je prends le cahier de cette marque moins chère pour les brouillons, et que je fais des économies sur les feuilles de couleur, est-ce que je pourrai me permettre le taille-crayon à réservoir?» C’est un casse-tête. Un stress qui s’ajoute à celui du travail, du loyer, de la vie chère.
Car oui, derrière cette polémique des fournitures, il y a la réalité économique de milliers de familles. On parle souvent du coût de la vie, de l’inflation. Là, elle est, concrète, dans un sac en plastique rempli de crayons et de protège-cahiers. C’est un budget qui explose, une facture qui peut facilement avoisiner les 800 dirhams par enfant. Multipliez par deux ou trois enfants… faites le calcul. C’est un mois de loyer pour certains.
Alors bien sûr, il y a les initiatives. Les opérations « un cartable pour tous », les soldes, les packs à prix réduits. C’est noble, c’est utile. Mais est-ce que ça résout le fond du problème ? Est-ce qu’on ne pourrait pas, tout simplement, alléger la liste ? Rationaliser. Se demander si le 18ème lot est vraiment indispensable. Revenir à l’essentiel: un cahier, un stylo, un crayon, une gomme. L’éducation, la vraie, celle qui forge les esprits, s’est faite pendant des décennies avec bien moins.
La rentrée devrait être une fête. Une célébration de la reprise, de l’apprentissage, de l’avenir. Pas une source d’angoisse financière. Il est peut-être temps que les écoles et les parents s’assoient autour d’une table. Non pas pour une réunion de plus, mais pour une vraie discussion sur le bon sens et la sobriété.
Parce que le matériel le plus important pour un élève, ça reste et ça restera toujours sa curiosité et son envie d’apprendre. Et ça, heureusement, c’est gratuit.
Bon courage à tous les parents, et surtout, une excellente rentrée à tous les enfants!
«Restons légers, même quand le monde pèse».