
Par Reghai Yasmina
Il est des traditions qui défient la gravité comme un ballon de foot en prolongations. Au Maroc, au-delà du thé à la menthe servi comme un rituel olympique et des débats éternels sur le prochain sélectionneur national, nous avons une spécialité maison: le commerce spirituel de proximité. Bienvenue dans le circuit des mausolées et marabouts, ces franchises du sacré où le miracle se négocie comme une paire de babouches au souk.
Le décor ? Une coupole verte, une foule bigarrée, la Mercedes du notable garée juste derrière le taxi rouge poussif. L’air est saturé d’encens, de prières murmurées et de l’odeur obstinée du sacrifice animal. Ici, pas de retraite méditative ni de silence monastique : on vient régler ses affaires.
Première étape : l’offrande. Le fidèle, client malgré lui, se présente avec un poulet, un mouton ou, pour les gros dossiers (divorce compliqué, concours de la fonction publique, penalty de l’équipe nationale), un dromadaire. La règle est simple : plus la bête est lourde, plus l’intercession du saint sera… costaud. Version locale du e-commerce : ajout au panier, paiement en liquide (sanguin) et livraison sous délai indéterminé.
Ensuite, place à l’attente. Pas de ticket numéroté, pas de borne tactile. On s’assoit contre un mur, on frotte une grille, on accroche un chiffon imprégné de baraka comme on collerait un post-it sur le frigo de l’univers : «PS: pense à mon ulcère, merci».
Et comme tout marché, il y a les intermédiaires. Les marabouts. Ces experts-comptables de l’invisible, coachs spirituels avant l’heure. Leur bureau ? Une pièce sombre, parfumée au henné et au mystère. Leur matériel ? Bougies, grigris, recettes secrètes à base d’ingrédients dont il vaut mieux ignorer la provenance. Leur vraie force ? L’art de sonder l’angoisse humaine et de la reconditionner en espoir, vendu en petits sachets.
Ce qui surprend, c’est ce paradoxe grandiose : un pays qui envoie des satellites dans l’espace, mais continue d’attacher des ficelles aux grilles d’un saint pour négocier une place au paradis.
Le miracle n’est pas que certains obtiennent ce qu’ils demandent. Le vrai miracle, c’est que cette industrie de l’espoir prospère encore, s’adapte et se transmet, siècle après siècle. Une économie parallèle où la foi se monnaye, où le désespoir se recycle, et où les moutons – littéralement – restent les meilleurs témoins qu’au royaume des miracles, on ne perd jamais le sens des affaires.
Miracle ou business plan, au fond, la baraka n’a jamais eu de frontières.