
“Charmille” : quand la rue raconte ce que les chiffres taisent
Manal Rmili
Ils sont jeunes, parfois mineurs, parfois un peu plus âgés. Ils circulent à moto, souvent à visage découvert, parfois armés. Leurs actes, filmés, circulent rapidement sur les réseaux. C’est ainsi qu’un mot, “Charmille”, s’est imposé, non plus comme un lieu, mais comme le symbole d’un phénomène, des agressions en plein jour, brèves, brutales, répétées. Un phénomène qui choque, interpelle, mais dont la genèse interroge plus qu’elle ne s’explique.
Qu’ils aient 16, 22 ou 28 ans, leur point commun n’est pas toujours la délinquance. C’est parfois l’errance. Loin des bancs de l’école, loin du monde du travail, souvent livrés à eux-mêmes. Pour certains, ces actes s’imposent comme un langage, une manière de se faire voir, ou simplement d’exister dans un environnement saturé d’indifférence. La rue, aujourd’hui, semble parfois parler plus fort que les institutions. Au lendemain de l’arrestation, on aperçoit souvent une figure familière, celle de la mère. Elle supplie, défend, s’étonne : «Mon fils n’est pas comme ça». Les mots tremblent, les yeux cherchent de l’empathie. Pour certains, cette détresse est sincère. Pour d’autres, elle révèle un silence trop longtemps gardé. Une chose est sûre, ces femmes ne comprennent pas toujours ce que leur enfant est devenu. Et ce décalage, lui aussi, dit quelque chose. Les raisons de ces dérives sont multiples, souvent complexes. Certaines histoires parlent de pauvreté, d’autres de violence intrafamiliale, d’échec scolaire ou de vide affectif. Dans ce chaos intime, le passage à l’acte devient parfois un point de bascule. Non pas parce qu’il est “justifié”, mais parce qu’il semble, pour certains, inévitable. Et quand les repères vacillent, ce qui était inimaginable devient une option.
Le système judiciaire suit son cours. Les interpellations se multiplient. Mais derrière chaque dossier, il y a une trajectoire, un contexte, une faille. Punir, oui. Mais que fait-on des causes? Que fait-on de ceux qui suivront, car rien, dans leur quotidien, ne semble leur promettre autre chose que la rue ou l’oubli? Le phénomène “Charmille” ne disparaîtra pas avec des condamnations. Il continuera, sous d’autres noms, dans d’autres rues, tant que les conditions de son émergence resteront intactes.
Et maintenant ?
C’est une jeunesse qui demande à être vue autrement. Pas excusée. Pas stigmatisée. Juste comprise. Car une société qui ne sait pas ce qu’elle transmet ne peut pas s’étonner de ce qu’elle récolte.