
Par Reghai Yasmina
Tendez l’oreille : ce que la jeunesse marocaine n’arrive plus à crier dans la rue, elle le crache dans un micro. Brut, nerveux, saturé d’émotions, le rap est devenu son cri de guerre… ou du moins, son cri domestiqué.
Car oui, nos rappeurs montent sur scène, mais pas sur leurs grands chevaux. Ils dénoncent, mais à demi-voix. Ils crient, mais dans la bonne direction. Pas de noms, pas d’adresses, pas de vagues — ou du moins, pas trop hautes. Le message ? “Fais du bruit, mais pas trop. Éclate-toi, mais sans éclabousser.”
Résultat : un rap plein de verve, mais parfois vidé de venin. Un couscous sonore, savoureux, mais sans l’harissa. Le beat est là, le flow aussi. Mais entre deux punchlines, on sent poindre une prudence. Une autocensure fine, presque élégante. L’art de dire sans dire, de viser sans tirer.
Les artistes jonglent avec la ligne rouge comme des funambules en plein vent. Une chanson disparaît mystérieusement des plateformes ? Problème de copyright. Un concert annulé à la dernière minute ? Souci technique. Un rappeur qui s’éclipse sans préavis ? Projets perso, voyons. Tout est normal. Enfin… presque.
Mais attention : la relève arrive. Une jeunesse créative, affûtée, pas dupe. Elle a du souffle, du style, et la rage lucide. Jusqu’où ira-t-elle ? Jusqu’où la laissera-t-on aller ? Entre les doigts invisibles de YouTube et les petits messages “bienveillants”, la marge se réduit à vue d’œil.
Le rap marocain est vivant, mais sous surveillance. Une révolte au ralenti. Un cri filtré. Et si demain, l’un d’eux décidait de ne plus chuchoter mais de hurler ? Qu’il prévoie un micro solide… et un bon avocat.
En attendant, les jeunes continueront de scander “Weld Bladi”, en espérant que Bladi les écoute. Et ne leur coupe pas le son.