
Par REGHAI Yasmina
Il aura suffi d’un mot-clé précédé d’un dièse pour que, soudain, le Maroc découvre que les enfants peuvent être victimes de violences. #TousBachir envahit les écrans, s’invite dans nos fils d’actualité, se répand à la vitesse de la fibre, et voilà que la conscience collective sort brutalement de son long sommeil. Comme si elle avait été anesthésiée pendant des décennies.
Alors, fallait-il vraiment attendre qu’un drame se transforme en tendance pour comprendre l’ampleur du problème ? Les associations d’enfance crient depuis des années dans le désert, les rapports s’entassent dans les tiroirs ministériels, mais non: il aura fallu la magie virale d’un hashtag pour que nous acceptions enfin de regarder la réalité en face.
Le cas de Bachir n’est pas une fiction sordide, mais l’histoire bien réelle d’un enfant de 13 ans, agressé par des pédophiles lors du festival de Moulay Abdellah. Treize ans, l’âge de l’insouciance, celui des rêves qui commencent à se dessiner, et non celui où l’on devient victime des pires démons humains. Cet épisode n’est pas seulement un scandale: c’est un miroir tendu à notre société, qui révèle jusqu’où peut aller la faillite de nos valeurs, la démission de nos institutions, mais surtout… la perte de notre humanité. Quand un enfant devient une proie en pleine fête populaire, c’est le signe qu’au-delà des chiffres et des hashtags, quelque chose de fondamental s’est effondré.
Pendant ce temps, les institutions poursuivent leur rituel. Communiqués lissés, promesses de fermeté, commissions d’enquête qui ne découvrent jamais rien. Toujours les mêmes scènes, les mêmes dialogues, les mêmes acteurs. Et dans quelques mois, quand l’éclairage médiatique se sera déplacé, nous retrouverons le même décor : des failles béantes et une indifférence bien huilée.
Le plus cruel, c’est que nous avons élevé l’art de transformer les tragédies en buzz. Nous manions à la perfection l’indignation 2.0, mais nous sommes encore incapables de bâtir une protection solide pour nos enfants. Nous savons faire naître des vagues virales, mais pas des mécanismes durables de signalement ou de prévention.
Alors oui, indignons-nous, faisons du bruit, continuons à partager. Mais rappelons-nous que derrière chaque hashtag, il y a une douleur bien réelle. Et que celle-ci, malheureusement, ne disparaît pas en 280 caractères.
Parce qu’un hashtag ne suffira jamais à protéger un enfant.