
MANAL RMILI
Au Complexe Mohammed V, le derby entre le Wydad Athletic Club et le Raja Club Athletic a été ponctué ce Mercredi du 29 Octobre par des arrêts de jeu, des jets de fumigènes et une ferveur hors norme. Bien plus qu’un match, ce fut une scène d’expression collective, à laquelle se mêlent passion, attente et frustration.
Casablanca, 29 octobre 2025, le mythique derby casablancais entre le Wydad et le Raja se jouait dans un contexte chargé. Dès l’ouverture du match, les tribunes du Complexe Mohammed V ont vibré, fumée blanche et rouge-vert, tifos grandioses, chants à pleine voix. Mais l’ambiance s’est vite muée en tension, plusieurs arrêts de jeu ont été nécessaires après des jets de fumigènes et autres usages de «craquage». Le jeu a vacillé, la pelouse s’est parfois effacée derrière le mur de fumée et d’émotion.
Le fait que l’enceinte ait connu des périodes de fermeture ou de travaux de réhabilitation ces derniers mois ajoute une dimension symbolique à l’événement. Le stade ne n’était pas seulement un terrain de football, mais un lieu de mémoire et d’appartenance. Pour beaucoup de supporters, son retour a été vécu comme un retour à «chez soi». L’émotion accumulée après les travaux, l’attente, l’impatience semble avoir trouvé dans ce derby un exutoire.

Le sociologue Abderrahim Bourkia, dans son étude sur le phénomène ultra au Maroc, appuie l’idée que les groupes de supporters ne sont pas uniquement des fans mais aussi des acteurs d’un espace social plus large « Ces jeunes créent un mouvement social porteur de revendication, […] inspirés des contextes politique et socio-économique, en mettant en scène des manifestations festives, hautement démonstratives». En effet, au-delà de la simple ferveur sportive, les tribunes semblent se transformer en scène d’expression collective. Des jeunes issus de quartiers populaires, parfois sans perspectives, trouvent dans le stade un lieu où exister, se regrouper, s’affirmer. Comme le souligne Bourkia, le «supporterisme» permet à n’importe qui de devenir quelqu’un, abstraction faite de son appartenance familiale ou de son niveau intellectuel.
Dans ce derby, les jets de fumigènes et les arrêts de jeu ne sont donc pas uniquement des actes de passion débordante, ils peuvent être lus comme la manifestation d’un désarroi latent. L’attente prolongée du retour du stade, l’émotion d’être de nouveau réunis, la rivalité historique tout converge pour créer un moment où l’excès devient l’expression d’un trop-plein. Les autorités sportives ont annoncé une enquête, le club a pris des mesures disciplinaires, mais sur le plan symbolique, l’événement interroge. Le match a rappelé que le football, à Casablanca comme ailleurs, est bien plus qu’un sport, il est un miroir des dynamiques sociales, des espoirs et des frustrations d’une jeunesse.




