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Santé mentale au Maroc: entre législation et grand tabou national

Par Reghai Yasmina

Au Maroc, on a beau se dire «moderne, ouvert et engagé», il suffit de prononcer deux mots santé mentale pour que tout le monde se mette soudain à fixer la moquette. Le silence religieux. Le vrai, celui qui ne nécessite même pas un décret.

Car chez nous, la dépression n’est pas une maladie, c’est une mauvaise gestion de la gratitude. L’anxiété ? Une preuve que tu ne fais pas assez tes citations religieuses . Le burn-out ? Un caprice d’enfants gâtés qui ne savent pas souffrir en silence comme leurs aînés. Quant aux troubles sérieux… mieux vaut ne même pas les nommer. On ne sait jamais, à force de dire les choses, elles pourraient exister.

Pendant ce temps, les textes de loi sur la santé mentale continuent de dormir tranquillement dans les tiroirs de l’administration. On promet des réformes, on parle de stratégie nationale, on évoque le renforcement de l’offre de soins. On adore les verbes à l’infinitif, surtout quand ils exonèrent d’agir. Le citoyen, lui, reste coincé entre l’exigence sociale d’être toujours patient même quand sa vie ressemble à un épisode de série turque sans fin et l’absence de structures adaptées, humaines, accessibles, financées… enfin, accessibles avant tout.

Il faut dire que reconnaître la souffrance psychique, c’est accepter que tout ne peut pas se régler avec un « Sbare a khouya » ou un verre de thé bien sucré. C’est aussi reconnaître que notre société produit elle-même ses névroses : pression familiale XXL, injonctions sociales taille empire, économie fragile, avenir incertain… Et pourtant, on continue de dire « Hamdoullah » comme si cela suffisait à faire baisser le taux de cortisol.

Yasmina Reghai
Mais à défaut de véritables politiques de santé mentale, nous, on a les réseaux sociaux : la plus grande salle d’attente psychiatrique à ciel ouvert. Tout le monde y diagnostique tout le monde, sans diplôme mais avec une confiance qui ferait pâlir Freud. Et comme d’habitude, on soigne le symptôme : on bloque, on mute, on supprime, on unfollow…
Parce qu’au fond, notre société n’a pas peur de la folie. Elle a peur d’en parler. Elle préfère les sourires impeccables, les familles parfaites, les façades immuables. Le reste ? Sous le tapis. Avec la poussière, les frustrations et deux ou trois traumatismes transgénérationnels pour la route.

Peut-être qu’un jour, la santé mentale fera partie des priorités nationales. Peut-être qu’on arrêtera de dire c est le destin pour tout et n’importe quoi. Peut-être qu’on comprendra qu’un cerveau, ça se soigne aussi. Et peut-être même qu’un Marocain pourra dire « Je vais chez le psy » sans que sa tante ne fasse trois dou’a pour “chasser le mauvais œil”.

En attendant, restons cohérents : on dédramatise tout, on banalise beaucoup, on réforme peu. Le cocktail parfait pour maintenir le tabou en excellente santé, lui au moins.

Votre chroniqueuse qui se soigne mais discrètement, pour ne pas faire peur au voisinage.

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