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“Ton image, ma liberté : quand la loi scrute nos pixels”

Par Yasmina REGHAI

Entre la caméra du voisin, le reel d’un inconnu et la story volée sur la plage, la question n’est plus : suis-je filmé·e? Mais : ai-je encore un droit à l’image?

C’est un dimanche ensoleillé. Vous sirotez un café en terrasse, le brushing est presque parfait, l’eyeliner tient bon, le monde est paisible. Puis, clic. Vous devenez sans le savoir l’arrière-plan d’un influenceur déchaîné, ou la blague du jour sur un compte satirique.
Bienvenue dans l’ère post-consentement, où votre image circule plus vite que votre propre pensée.

Heureusement — diront certains, la loi est en train de se réveiller. Dans plusieurs pays, y compris le Maroc, des propositions émergent pour protéger ce qu’on appelle le droit à l’image, cette vieille dame un peu oubliée dans les archives juridiques, qu’on redécouvre à la lumière crue des réseaux sociaux. Enfin, dit-on, on va pouvoir poursuivre celui qui nous filme à notre insu, celle qui publie sans flouter, ces nouveaux paparazzis du quotidien.

Mais faut-il vraiment une loi pour apprendre à respecter autrui? Et jusqu’où ira-t-on? Interdire les caméras dans les lieux publics? Réguler les souvenirs? L’image devient un territoire politique, et la liberté personnelle, son champ de bataille.

Car derrière ce droit à l’image, se cache une lutte plus vaste: celle du corps comme espace de souveraineté.
Ton image, c’est ton corps, c’est ta vie. Et la poster sans ton accord, c’est une mini-expropriation. Or, dans un pays où l’espace intime est déjà sous haute surveillance sociale, que signifie cette nouvelle loi ? Une avancée? Oui. Mais aussi une alerte : si la loi protège, elle peut aussi baliser, limiter, censurer.

En prétendant défendre les libertés individuelles, elle pourrait si elle est mal appliquée devenir une arme de contrôle. Contre les vidéastes citoyens, contre les documentaires-chocs, contre la dénonciation. Car tout dépend de qui filme, de qui est filmé, et de pourquoi.

Et puis il y a l’autre face du miroir: celle des citoyens invisibles. Ceux dont on ne parle jamais, qu’on filme sans les nommer, qu’on expose sans jamais les écouter. Les travailleuses domestiques dans les vidéos de «bonnes actions», les sans-abri transformés en contenu viral, les malades filmés à leur insu dans les hôpitaux. Là encore, la loi sur le droit à l’image ne vient pas seulement réparer une atteinte à la vie privée: elle rappelle qu’on ne fait pas du buzz avec la dignité des autres. Ce n’est pas de l’éthique 2.0, c’est juste du respect.

En attendant, chers amis du numérique, un conseil: floutez. Demandez. Respectez. Parce que la liberté personnelle, ce n’est pas seulement une affaire de loi. C’est d’abord une question de regard.

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