
Boutaina Elmakoudi
À l’heure où les Marocains aspirent encore à voir leur Constitution devenir une réalité vivante,un contrat social appliqué au quotidien ,la célébration du 14ème anniversaire de l’adoption de la Constitution de 2011 se teinte d’une nouvelle désillusion: celle de la marginalisation persistante de la langue amazighe, toujours reléguée aux marges de l’action publique.
C’est dans ce contexte à la fois symbolique et préoccupant que 15 associations amazighes œuvrant dans les domaines culturel et des droits humains, engagées en faveur de la reconnaissance effective de tamazight, ont déposé un recours administratif devant le tribunal administratif de Rabat. Leur objectif est clair; contester la décision du gouvernement et du ministère de l’Éducation nationale de reporter la généralisation de l’enseignement de la langue amazighe dans le préscolaire et le primaire à l’horizon 2030.
Ce recours, comme l’explique Maître Ahmed Arahmouch, avocat, militant des droits humains et membre du collectif de défense dans cette affaire, «n’est pas seulement une réponse juridique à une décision injustifiée, mais également une dénonciation ferme d’une violation manifeste de la Constitution et de la loi organique 26.16, en particulier son article 31, qui fixe à cinq ans le délai maximal pour généraliser l’enseignement de la langue amazighe, soit avant 2027».
Dans une déclaration à DabaPress, Maître Arahmouch souligne que «ce report ne constitue pas seulement une entorse aux engagements constitutionnels ; il s’agit d’un acte d’insubordination administrative face à la volonté du législateur, d’une usurpation des prérogatives du Parlement, et d’une transgression flagrante du principe de séparation des pouvoirs».
Par ailleurs, sur le terrain, les constats dressés par les associations requérantes sont accablants « tamazight reste largement absente du système éducatif, cantonnée à la périphérie des priorités nationales, loin de toute logique de justice linguistique. »
Le discours officiel se heurte à une inertie administrative et politique persistante, révélant un déficit criant de volonté réelle quant à l’officialisation effective de la langue.
Dans le même sillage, l’association Fidélité à l’alternative amazighe, à l’issue de sa réunion tenue le 6 juillet de l’année en cours, a tiré la sonnette d’alarme face à ce qu’il qualifie de « dégradation progressive de la situation de la langue amazighe », en raison de la réticence persistante de l’État à appliquer les dispositions de la loi organique relative à son officialisation.
Du même sujet L’association a dénoncé la décision gouvernementale de reporter la généralisation de l’enseignement de l’amazighe, y voyant une forme de marginalisation institutionnelle.
Il a également fustigé l’instrumentalisation politicienne de la symbolique amazighe lors d’événements partisans, tout en constatant son absence réelle dans les politiques publiques, notamment dans l’école, les médias, l’administration et la justice.
Le groupe des association appelle à une intégration effective de l’amazighe dans tous les secteurs, à la libération des détenus d’opinion et des militants du mouvement amazigh, et plaide pour la création d’une formation politique fondée sur une référence culturelle et civilisationnelle amazighe, capable de porter un véritable projet démocratique et identitaire pour le pays.
Dès lors, le recours à la justice ne saurait être réduit à un simple geste symbolique,Il s’agit d’un acte citoyen de résistance légale, d’un plaidoyer en faveur du respect de l’État de droit, et d’une interpellation directe de l’État quant à sa crédibilité. Car lorsque les textes constitutionnels sont bafoués par ceux-là mêmes qui sont censés les garantir, le silence devient complicité, et le recours devient un devoir.
Il est important de souligner que ce procès ne vise donc pas uniquement à défendre la langue, mais bien à rappeler que les droits ne se reportent pas ;ils s’exercent.
« Tamazight n’est pas un luxe culturel ; elle est l’expression vivante d’une identité. »
Sa reconnaissance ne peut rester un vœu pieux ;elle exige un engagement politique sincère, à la hauteur des promesses contenues dans la Constitution de 2011.