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“Filme-moi si tu peux”

Par Reghai Yasmina

Bienvenue au Maroc, ce grand plateau de tournage clandestin, où tout le monde se prend pour un grand réalisateur, mais sans scénario, sans budget, et surtout sans éthique.

Ici, le téléphone est devenu une arme de destruction massive : il enregistre, il filme, il balance. Et ce, souvent à l’insu de la personne filmée, parce que, paraît-il, la morale, c’est “has been”.

Les plus audacieux appellent ça de la “preuve”. D’autres, plus spirituels, parlent de “protection”. Moi, j’appelle ça un délit filmé en direct. Oui, parce que l’article 447-1 du Code pénal marocain ne plaisante pas avec la vie privée:
filmer, photographier ou enregistrer quelqu’un sans son consentement dans un cadre privé, c’est jusqu’à trois ans de prison et 20 000 à 200 000 dirhams d’amende.

Et si tu t’avises de diffuser l’enregistrement sur les réseaux, là, mon cher Spielberg du dimanche, tu passes à cinq ans de prison et jusqu’à 500 000 dirhams d’amende. Oui oui, pour un simple “partage WhatsApp”.

Mais non, certains persistent : “Je voulais juste me protéger !”
Ah bon ? En violant la loi ? En trahissant la confiance de quelqu’un ?
C’est un peu comme si un voleur expliquait au juge qu’il a cambriolé pour “tester la solidité de la porte”. Touchant.

Yasmina Reghai
Yasmina Reghai
Et puis, il faut voir la scène : tu bois ton café, tu parles en toute confiance, et l’autre, en face, sourit poliment… pendant que son téléphone enregistre chaque mot. C’est la nouvelle paranoïa collective : on ne parle plus, on s’auto-censure, de peur de finir dans un groupe Telegram.

On n’est plus dans la société de la communication, mais dans la société de la délation version HD.

Alors, oui, l’interdiction de filmer ou d’enregistrer quelqu’un sans son accord n’est pas qu’une question de morale : c’est une protection juridique, humaine, et un minimum de décence.

Parce qu’à force de se filmer les uns les autres, on oublie l’essentiel: écouter, comprendre, respecter.

Et si vraiment certains ont la fibre audiovisuelle, qu’ils aillent tourner un court-métrage au studio , pas dans la salle de réunion ou le café du coin.

Au moins là-bas, ils apprendront qu’avant de filmer quelqu’un, on commence par lui demander : “Tu veux bien que je t’enregistre?”

Et ça, c’est pas du cinéma. C’est juste du respect.

Votre chroniqueuse qui filme la bêtise avec des mots mais pas avec un téléphone.

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