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Deux heures au compteur ! Le café n’est pas un parking!

Par Reghai Yasmina

Au Maroc, le café n’a jamais été qu’une simple tasse de liquide noirâtre: c’est une scène de théâtre, une agora, parfois même un bureau improvisé. Mais voilà qu’une étrange règle non écrite s’installe: la «limite des deux heures».

Le principe est simple et implacable. Tu poses ton café sur la table, tu poses aussi ton destin sur le sablier invisible qui s’active aussitôt. Deux heures plus tard, si aucune nouvelle commande n’a eu la délicatesse de remplir l’addition, te voilà classé dans la catégorie peu glorieuse du squatteur. Un citoyen sans-papiers du café, un clandestin du rotin.

C’est tout un art de vivre qui se voit ainsi chronométré. Lieu de contemplation, de bavardage ou de sieste, le café devient soudain une station-service où le client doit justifier son stationnement. Adieu la flânerie, bonjour la productivité. La montre au poignet devient plus menaçante que le regard du serveur.

Yasmina Reghai
Yasmina Reghai

Les gérants, eux, brandissent leurs arguments comme un code de l’urbanisme appliqué aux terrasses. Une table, disent-ils, n’est pas un meuble mais une parcelle à haute valeur locative. La rotation devient un dogme, la chaise un capital, le client une variable d’ajustement. Le café à vingt dirhams devient une sorte de loyer temporaire, un bail précaire qui expire au bout de cent-vingt minutes.

On pourrait rire de cette absurdité si elle ne révélait pas en creux une société qui hésite entre deux modèles : celui de la convivialité gratuite et celui de l’exploitation au centimètre carré. Le café marocain, jadis refuge intemporel, se transforme en parking minute.

La prochaine fois que vous commandez, souvenez-vous : au Maroc, le café est peut-être chaud… mais le temps, lui, est désormais payant.

— Chronique minutée, signée Yasmina Reghai

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