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Maroc: culture vivante ou carte postale figée?

Par Yasmina Reghai

Fès, Marrakech, Meknès, Rabat… Nos vénérables villes impériales s’offrent au regard du visiteur comme un tableau bien verni : ruelles pittoresques, senteurs d’épices, babouches pendues comme des guirlandes, et menthe à tous les étages. Le Maroc sait accueillir, c’est un fait. Mais sous le vernis brillant du décor, une question tenace revient: sommes-nous encore les narrateurs de notre culture, ou de simples figurants dans un film touristique bien rodé?

Bienvenue au royaume du cliché rentable:
Avouons-le, nous sommes devenus les champions de la scénographie identitaire. À Marrakech, la place Jemaa el-Fna tourne à plein régime comme une scène ouverte: charmeurs de serpents, acrobates, henné-minute et jus d’orange alignés comme au défilé. La médina bruisse de mille promesses « artisanales », même quand les souvenirs sont estampillés “Shenzhen”. Le mot “authentique” s’est invité dans toutes les brochures – et dans les packages “expérience locale” organisés, bien souvent, depuis Paris 16e ou Bruxelles centre.

Est-ce un drame? Pas nécessairement. Le tourisme nourrit des familles, les riads fleurissent et même les Marocains ne boudent pas le plaisir de découvrir «leur» pays en mode carte postale. Mais jusqu’à quel point peut-on mettre en vitrine une culture sans en altérer la substance ?

Sur le fil : entre mise en scène et mémoire vivante:
Certaines villes savent mieux naviguer que d’autres. Fès, malgré les flux, résiste par la complexité même de sa médina – où même les applications de navigation s’essoufflent. Meknès avance à pas feutrés, vend du patrimoine sans tomber dans le spectacle.
Mais Marrakech… Ah, Marrakech ! À force de vouloir tout offrir, elle finit par se travestir. Djellabas en lin bio, soirées pseudo-berbères à prix chic, riads design pour Instagram… Où finit la culture, où commence le décor ?

Tourisme: ouverture ou travestissement?
On ne diabolise pas le tourisme – on l’interroge. Le Maroc est multiple, vivant, profond. Il n’a pas besoin de marquer “authentique” sur ses façades. Il suffit parfois de s’éloigner un peu, de pousser une porte, d’écouter une histoire non scénarisée, de s’asseoir dans un café qui n’a jamais entendu parler de TripAdvisor.

Au fond, la vraie séduction de nos villes impériales, c’est quand elles arrêtent de séduire.

À lire avec recul… et un bon verre de thé, bien fort, bien sucré, comme il se doit.

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