
Par Reghai Yasmina
Il fut un temps où, pour paraître cultivé au Maroc, il suffisait de glisser une référence à Ibn Khaldoun ou de citer Montaigne, de glisser un “d’ailleurs dans Le Monde Diplomatique…” ou de froncer les sourcils en parlant de géopolitique. Aujourd’hui, un seul mot fait office d’ascenseur social intellectuel : l’intelligence artificielle.
Pas besoin de comprendre. Pas besoin de coder. Pas besoin de distinguer un chatbot d’un chat errant du quartier.
Il suffit d’annoncer d’un ton grave :
“Excusez moi, mais l’IA va transformer l’avenir du pays.”
Un pays que la personne en question n’arrive déjà pas à traverser sans Google Maps, mais passons.
Dans les cafés chics de Casablanca comme dans les salons feutrés de Rabat, on voit émerger une figure nouvelle : le “Techno-Ssage” (avec deux “s”, parce qu’il a toujours un peu trop de certitudes).
Celui qui dit “blockchaïne” avec confiance, mais sans jamais s’interroger sur le contenu .
On le reconnaît facilement :
– Il prononce “algorithmique” en insistant sur le “ique”,
– Il cite toujours une conférence TED qu’il n’a jamais regardée,
– Et il conclut par : “Au Maroc, on doit investir dans la data”, comme s’il parlait d’un nouveau rond-point.
Et puis il y a les IA-optimistes made in Morocco, ceux qui pensent que l’intelligence artificielle va régler :
– les administrations,
– les rendez-vous médicaux,
– les bouchons,
– et peut-être même la liste d’attente au consulat.
Il faut rêver grand, après tout.
L’ironie dans tout ça ?
On fantasme sur l’IA alors qu’on a encore du mal avec une simple file d’attente. On discute futur numérique alors que personne ne veut mettre à jour son téléphone. On parle innovation… mais on imprime toujours les documents en trois exemplaires “au cas où”.
Le Maroc ne manque pas d’intelligence ni artificielle, ni humaine.
Ce qui manque, parfois, c’est l’intelligence collective, celle qui met de l’ordre dans le désordre, sans grand discours, sans jargon, juste avec du travail de fond.
En attendant, si vous voulez impressionner dans une soirée :
Dites “machine learning” entre deux bouchées d’amandes grillées.
Avec un peu de chance, on vous prendra pour un visionnaire.
Votre chroniqueuse qui scrute le réel avec un sourire en coin




